20 February, 2008

Hors piste

La journée automnale était belle, une période délicieuse où la douceur du soleil chauffe la peau mais le fond de l’air sec et revigorant nous rappelle que tout changera bientôt. Les feuilles des trembles avaient déjà viré au jaune écarlate ou rouge vif. Ici et là, quelques cheminées brulaient du cèdre ou du pin. Leur arome embaume Santa Fe au petit matin.

Dans la salle de conférence du journal, l’équipe publicitaire discute du nouveau projet. Le Santa Fe New Mexican va lancer une nouvelle section qui expliquera les atouts de ma jolie ville en hiver. « Winterlife » cherche à promouvoir cette saison un peu creuse puisque la ville est surtout populaire en été lorsque les touristes descendent par centaines de milliers. Mais abutée à 2.100 mètres contre les montagnes Sangre de Cristo, une chaine méridionale des Rocheuses, la capitale de l’état du Nouveau Mexique propose en hiver certes moins d’activités culturelles mais en revanche des pistes enneigées de poudreuse légendaire à quelques kilomètres.

Connu pour mon amour du ski, quelqu’un suggère que je contribue un article sur le sport pour la nouvelle section. Gentille idée, mais un peu inquiétante pour moi qui n’ai jamais rien publié. Beaucoup d’amis me le conseillèrent, un encouragement qui me laissait sans réponse. Comment écrire un article et où trouver un support pour le publier quand on n’a jamais fait ça ?

J’approchais un rédacteur qui, à ma grande surprise, accepta mon idée. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire pour un journal et plus occasionnellement pour des magazines.

Et c’est pourquoi je décide en milieu de février d’aller faire un tour du coté de Lake Tahoe, ce lac alpin magnifique qui enjambe la Californie et le Nevada. Depuis 12 ans, j’ai la chance de pouvoir me rendre dans les hauts lieux du sport à travers les Etats-Unis et le Canada et même en Europe comme le moi prochain. C’est une chance car ces balades ne me coutent pas cher. Au lieu de conduire, j’opte pour une nouvelle desserte aérienne entre Santa Barbara et Sacramento la capitale qui m’évite de me taper 600 kms, dont une grande partie monotone dans la vallée centrale. L’avion suit la cote en quittant Santa Barbara. Il passe successivement les plages d’El Capitan et Refugio, cette dernière particulièrement jolie avec ses palmiers près du sable de la plage. Les collines sont vertes, grâce à un hiver suffisamment pluvieux.
A l’horizon j’aperçois à la fois les caps Arguello et Conception. C’est là que la cote Californienne vire et pourquoi Santa Barbara fait face au sud bien qu’étant sur la cote ouest. Le climat aussi change dans les alentours. A Gaviota, l’avion suit l’autoroute qui se fraye un passage à travers les montagnes Santa Ynez et survole dorénavant les terres.
Juste après avoir vu le pont du Golden Gate et la silhouette du Mont Tamalpais au nord de San Francisco que je reconnais de loin, je parviens à prendre une photo du centre de Sacramento. Si vous l’agrandissez, vous discernerez le Capitole, siège du gouvernement de l’Etat.
J’emprunte les petites routes de la « Gold Country », le pays où la ruée vers l’or commença en 1849, un an après que la Californie passa du contrôle Mexicain aux Etats-Unis. Imaginez s’ils avaient tenu quelques mois de plus…


Les petites villes de cette région en contrefort de la chaine de montagne Sierra Nevada conservent un coté historique même si certaines sont en plein essor démographique. Je rejoins la California 88 qui prend de l’altitude plutôt doucement. Il fait presque nuit lorsque j’atteins le col de Kit Carson (explorateur du XIXème siècle). La profondeur de la neige sur les abords de la route atteint 1m50 et il y a même un peu de verglas.


J’emménage dans une chambre, grande mais sans charme, dans le village de Kirkwood. J’hésite à utiliser cette appellation. Kirkwood est une fabrication pour les sports d’hiver. Ne comptez donc pas y retrouver les commerces auxquels vous êtes habitués. Ils existent rarement dans les villes normales : ne les cherchez-pas dans un site artificiel. Je ne sous-entends pas que l’endroit est sans caractère. Simplement qu’il est « réduit ».


Je dine au Kirkwood Inn, une ancienne auberge en dehors du « village » qui elle a de l’ancienneté puisqu’elle date de 1863. Le cadre est rustique, l’ambiance chaleureuse. Au moment de payer, je me rends compte que j’ai oublié mon portefeuille. Quand je réalise que je l’ai laissé dans ma chambre, il faut expliquer à ma serveuse que je vais devoir partir sans payer – du moins momentanément. Elle prend ça très bien. Kirkwood est la première étape de ma semaine à la montagne. Son terrain plutôt avancé me plait et bien qu’à l’écart des stations autour de Lake Tahoe, Kirkwood vaut le déplacement. Il faut compter $69 pour un forfait qui comprend l’accès à 12 remontées sur un dénivelé de 609 mètres. Même avec un dollar appauvri, cela donne 46€ pour la journée. A comparer avec Valloire que je choisis parce que c’est là où j’ai appris à skier, qui offre 34 remontées et un dénivelé de 1.170 mètres pour 28€.


Tout ce qui touche au sport aux U.S. est très cher. Pas d’économies non plus sur l’hebergement : ma chambre, certes grande, coute plus de $600 par nuit ! Et elle n’est même pas sur les pistes. (Une chambre très modeste revient au mois à $150 en période d’affluence.) Le forfait à $69 n’est en fait pas si mal. Les stations de grande renommée, comme Aspen (8 remontées, dénivelé de 996 mètres) demandent $87, à quoi il faut ajouter entre $7 et $15 pour le parking. Il est vrai que des navettes circulent vers Aspen Highlands, Buttermilk et Snowmass, reliant ces autres domaines skiables. Mais ils ne sont pas connectés et on perd du temps d’aller de l’un à l’autre. En dortoir, la nuitée la moins chère au St. Moritz Lodge coute $60, contre $147 pour une chambre privée mais sans salle de bain et $232 avec. Une escapade à Aspen vous reviendra donc au strict minimum à 160€ si vous voulez bien partager la salle de bain mais pas la chambre.
Avec mon hôte (le mec qui s’occupe des relations avec la presse), je pars à la redécouverte d’une station que je n’ai pas visitée depuis au moins une quinzaine d’années. Après un déjeuner sympa sous le soleil, je me suis surtout bien amusé dans les chutes qui rejoignent le bassin Emigrant au secteur frontal de la station. L’Escarpement Rouge (Red Cliffs) se l’autre coté de la petite cuvette du village, sur un plan qui ne fait pas partis de la station mais auquel on peut accéder par dameuse. Ce versant fait face au sud, et avec une chaleur printanière, la neige y était instable. Je me suis contenté de pistes comme The Wave et le contrebas du Pic Martis et le Palisades Bowl.
En aout dernier, j’ai fais un petit tour dans les parages avec mon amie Nan. Pas question de ski, bien sur. Bien qu’en altitude, les flocons ont fondu au début de l’été. Il faudrait atteindre au moins 3.500 mètres pour trouver les neiges éternelles. Et le sommet de Kirkwood ne frôle que les 3.000.
En jolie fin d’après midi, Nan et moi sommes allés au lac Winnemucca à quelques kilomètres du col Kit Carson sur le Pacific Crest Trail, un sentier de 4.250 kms qui suit plus ou moins la crête des chaines de montagnes parallèles (mais éloignées) au Pacifique, du Canada au Mexique. J’ai pris une photo de Nan pendant qu’elle sautait (de joie ?) devant le signe qui indique le début de la zone protégée dite Mokelumne. Je me suis dis que ce serait sympa d’y retourner et de prendre le panneau, cette fois entouré de neige.

La cabine qui marque le début du sentier était partiellement ensevelie. Marcher dans ou sur la neige ralentit considérablement. Sans raquettes, mon progrès fut encore plus lent. Je savais que le signe n’était pas bien loin, mais où ? Un skieur de fond me dit qu’il était certainement entièrement sous la neige ! A sa place, je pris une photo de moi …


Le paysage de la Hope Valley est magnifique. Je traverse le conté d’Alpine, 1.200 habitants pour 1.925 km² : de l’espace ! Le soleil se couche et il fait doux dans la voiture. Je crains que j’aille m’assoupir. Pour les jours qui suivent, je m’installe dans une suite confortable du Montbleu, un hôtel-casino à quelques pas de la rive du Lake Tahoe. Comme les jeux d’argent ne sont pas autorisés en Californie (sauf sur les réserves indiennes n’étant pas soumises aux lois des états), une demi douzaine de casinos se pressent à la frontière, mais au Nevada. La ville de South Lake Tahoe est la plus peuplée – et de loin - autour du lac avec à peu près 25.000 âmes. Stateline et ses casinos ne rassemblent que 1.200 personnes, bizarrement.


Je file diner chez Naked Fish, un restaurant japonais qui fait venir ses poissons chaque jour de la cote. Le serveur est génial. Quand il s’avère que le restaurant n’a plus mon premier choix, et qu’un autre client veut aussi ce que je choisis comme remplacement alors qu’il n’en reste qu’un, il me promet d’aller « se battre » pour moi.


Je l’encourage à y mettre le paquet, de ne pas laisser tomber le morceau (figurativement et littéralement). On gagne !


Je me lève tôt pour un rendez-vous avec la représentante de presse pour Sierra-at-Tahoe. Sitôt arrivé à la station, je remarque qu’une des boucles de ma chaussure de ski est cassée. Pas moyen de la retrouver, ni d’acheter un remplacement. Je n’ai pas le choix et décide de skier sans mais je crains être moins performant. Je ski avec des Lange, des chaussures de compétition qui sont finement ajustées. Pas question d’aller trop vite sur les pistes damnées, mais je redoute d’aller explorer les zones hors piste. Et c’est justement ce qui m’attire à Sierra, une station où je ne suis jamais allé parce que trop intermédiaire, mais qui souhaite s’élargir dans Huckleberry Canyon, un secteur bien avancé. Avec un délectable barbecue, mon guide de la patrouille de ski décide d’aborder Huckleberry en empruntant l’accès le plus facile. Je devrais en fait dire le moins difficile car rien n’est pour les débutants dans ce secteur. J’oublie vite ma chaussure non verrouillée tant le terrain m’enthousiasme. Et il y a le lac, juste dessous, qui me taquine. Malgré la chaleur, la neige tient bon grâce à l’orientation nord. Les dernières chutes remontent à une bonne semaine, mais nous trouvons de la poudreuse. J’en redemande, et cette fois on approche du sommet. Les couloirs sont vraiment très étroits et c’est le délire. Pas une seule personne pendant les deux descentes : c’est absolument fabuleux !
La plupart des stations de ski dans l’ouest américain opèrent sur un terrain qui est géré par l’administrateur local des forets nationales. Ce sont des lieux publics. Lorsque l’operateur, qui est généralement une corporation privée ou exceptionnellement une municipalité, souhaite un élargissement ou autre changement notable, il doit solliciter un permis auprès de l’administrateur des forets. Ce processus s’éternise sur plusieurs années car il y a souvent opposition. Sierra-at-Tahoe pense se voir attribuer un permis d’exploitation pour Huckleberry Canyon mais cela traine. En attendant, il est possible d’y aller par le biais de cinq portes d’accès, qui sont une forme de control. En principe, puisque le terrain au delà des stations de ski est lui aussi public, tout est skiable. En pratique, il est souvent difficile d’en sortir puisqu’il y a ni sentier, ni route. Des régulations locales l’interdisent quelquefois à cause du danger d’avalanche.
Je finis la journée au tout nouveau Wide Awake Cafe pour un rendez-vous avec une autre représentante de presse. Je ne commande rien pendant que je l’attends, mais les gentils serveurs m’offrent un verre (d’eau) et me laissent utiliser leur ordinateur. Le café donne un peu dans le bio version végétarienne. Il donnera donc concurrence au Sprouts Cafe, déjà bien implanté et lieu de prédilection de mon ami Eric dont les gouts culinaires ne lui permettent pas d’apprécier le coté industriel et surtraité de la cuisine américaine traditionnelle.


Heavenly surplombe South Lake Tahoe et le lac lui-même. C’est une des plus grandes stations de Californie avec 30 remontées sur un dénivelé de 1.074 mètres. Depuis quelques années, on peut accéder aux pistes directement depuis la ville par l’intermédiaire d’une gondole qui part du « village ». C’est en fait une zone piétonne, bien agencée mais avec des commerces axés sur le tourisme mis à part le cinéma.
La station s’étend sur les deux états limitrophes. Le coté Nevada offre un terrain plus difficile, surtout dans les chutes de Mott et Killebrew. On y aperçoit le haut désert du Great Basin, un panorama de terres brunes interrompu de chaines montagneuses que l’on nome « iles du désert » tant elles semblent être des anomalies. Tournez la tête vers la Californie, et ce superbe lac d’un bleu profond s’étend au dessous d’une longue chaine de montagne toute enneigée. Le champ de vision identique incorpore désert et sommets. Mon hôte m’invite à déjeuner au Deck avec une vue magnifique du lac. Je clos l’après-midi dans les clairières de Ski Way où le soleil qui tombe apporte une douceur féerique. Par hasard, je reçois un coup de fil de Nan et je m’empresse de lui décrire ce paysage émouvant. J’arrive à lui parler en même temps que je ski !Pour atteindre mon prochain hôtel à Incline Village je longe le rivage est du lac qui reste à portée de vue. Le soleil couchant m’enivre.


Tahoe est le plus grand lac alpin du pays avec 116 kms de littoral, mais ses atouts ne s’arrêtent pas là. Situé à 1.897 mètres, sa profondeur atteint jusqu’à 500 mètres. Il est d’une clarté impressionnante et d’un bleu des fois turquoise. Soixante trois ruisseaux l’alimentent mais un seul, le Truckee, le draine. Malgré le froid hivernal, sa surface ne gèle jamais. Et c’est en fait un lac naturel, c'est-à-dire sans barrage, à l’instar de la quasi totalité des lacs de l’ouest du pays.

Le lac est entouré d’un amalgame de forets nationales et parcs d’état. Ces immenses réserves naturelles et les règles sévères sur le bâtiment assurent une protection avec peu d’égal. Malgré sa beauté, il n’a pas de parc national phare et sa popularité avec les étrangers est maigre car il se trouve un peu à l’écart du circuit touristique typique. Si je devais quitter le pays et que je n’avais de temps que pour un endroit sauvage à visiter pour une dernière fois, j’irais à Lake Tahoe. Peut-être est-ce par qu’il éveille des souvenirs des sept ans vécus à San Francisco. De cette ville – aussi extraordinaire – il est à 4 heures de route et j’ai du m’y rendre au moins une cinquantaine de fois dans ma, uh, jeunesse.

Le Hyatt Regency jouit d’une plage privée dans la ville plutôt huppée d’Incline Village. Cette constatation vous apprend immédiatement que je ne suis pas en Californie car toutes les plages y sont publiques. Ce « village » rassemble une collection de propriétés démesurées, impressionnantes certes, mais froides. Son centre commercial n’invite pas à flâner. C’est le cadre qui compte.

On m’héberge en étage privé où toutes sortes de collations sont servies : petit déjeuner le matin, snacks en après-midi, cocktails et sandwiches en soirée.

Le temps, si doux et moelleux, vire brutalement à l’arctique. Quand j’arrive à Mt. Rose de sombres nuages virevoltent autour des pistes et soulèvent une neige grêleuse. Par malchance, j’ai oublié mon bonnet. Pas question que je me retrouve sur les pistes sans chapeau ! Mt. Rose est fière de son emplacement à 2.406 mètres, la base la plus haute des stations autour du lac. Auquel il faut ajouter un dénivelé de 548 mètres. Aujourd’hui, cette altitude se traduit par un froid cinglant et un vent qui fouette les huit remontées. La station s’est élargie depuis ma dernière visite (au moins une quinzaine d’années) et j’ai hâte d’aller skier les chutes. Son infrastructure reste cependant très modeste.
La neige de printemps stipule qu’il faille attendre que le soleil du matin fonde la glace de la nuit pour rendre les pistes skiables. Rien de pire que de la neige ramollie la veille et durcie pendant la nuit. Quand les jours s’allongent et se réchauffent, il suffit de choisir les pistes baignées par le soleil du matin. Mais quand une tempête survient, le raffermissement nocturne non seulement ne disparaîtra pas, mais une faible couche de neige nouvelle donnera le sentiment de poudreuse phénoménale.

Les pistes damnées sont solidement gelées. Très bon pour la vitesse, mais ça bouffe mes carres. En dehors de cette manucure, c’est le désastre : imaginez l’intérieur du freezer mais en pente ! Je tente Beehive dans les chutes où je ramasse le matériel perdu par un skieur qui s’est cassé la gueule…
Des éclaircies me permettent d’apprécier le panorama sur le Mont Rose qui domine la route qui relie le lac à Reno, la plus grande ville du nord du Nevada. A deux ou trois reprises, j’ai voulu grimper ses 3.282 mètres mais j’ai du rebrousser chemin quand la neige ralentit mon progrès. En été !

Ce sommet n’est donc pas dans le domaine skiable de la station, malgré son nom d’emprunt. Il est accessible par une bretelle du Tahoe Rim Trail, un sentier glorieux qui encercle le lac en 266 kms. J’ai parcouru plusieurs segments, et il est véritablement magnifique.
Mt. Rose résiste une nouvelle tendance en matière d’emploi. Pour faire face à leurs besoins de main d’œuvre, les operateurs disent avoir besoin de faire recours à l’importation temporaire de ressortissants étrangers. Le continent sud américain est très prisé à Lake Tahoe, mais pas à Mt. Rose qui visiblement parvient à recruter localement. Une station estime offrir que $8 par heure – la rémunération minimum en Californie – est un salaire compétitif. Sans doute pour quelqu’un d’Argentine ou du Chili, mais peut-être moins pour le brave du coin. On me chuchote que certains de ces programmes se considèrent comme échanges linguistiques. Les participants travaillent pour apprendre l’anglais et ne sont pas payés…

Quittant la station un peu tôt, je suis libre d’aller me promener dans les alentours de Tahoe City, la ville balise du nord du lac. Le distributeur de journaux devant mon café a disparu. Je m’y enfouis pour réfléchir à comment je pourrais aller bosser dans une station de ski en Amérique du Sud.
La direction de l’hôtel m’offrit une bouteille de vin et une corbeille de fruits et fromages. Mais puisqu’elle me propose aussi les alcools à volonté, je n’ai pas l’occasion de l’apprécier. Je juge qu’elle puisse faire plaisir à quelqu’un d’autre et l’embarque avec moi pour l’offrir à Savannah, la représentante de presse de Squaw Valley.
Alors que chacun traverse le parking avec skis ou snowboard, je trottine avec ma bouteille de pinard. Vous ne commencez pas la journée comme ça ? Savannah pense que c’est bien gentil pour la Saint Valentin !

J’ai une relation émotionnelle avec Squaw Valley car c’est là que j’ai skié pour la première fois aux Etats-Unis. Lors d’un de ces nombreux voyage Elisabeth et moi fumes tentés par les anneaux olympiques qui commémorent les jeux de 1960. Sans tenu de ski ni gants ni bonnets, nous louons une pair et nous retrouvâmes sur le tremplin du saut à ski prêt à l’envol. Bon, j’exagère un peu…

Je tombe et j’ai froid mais j’aime ça. Beaucoup plus qu’une douzaine d’années auparavant quand je dévalais les pentes de Valloire à 12 ans. L’envers de la carte des grandes stations européennes c’est qu’un gamin sans muscles est épuisé quand il descend de longues pistes en chasse neige. Je me souviens ne pas être trop rassuré de me retrouver sur un télésiège bancal, balancé par le vent à des centaines ( !) de mètres de hauteur. L’équipement du début de l’ère 1970 semblait favoriser les accidents. Sur 30 enfants, on pouvait compter sur six à huit membres cassés à la fin de la classe de neige.
A l’envers des autres stations dont le tracé consiste de pistes dessinées à travers foret, celui de Squaw privilégie les secteurs sans arbres. Ses 34 remontées arpentent un dénivelé de 869 mètres, bien souvent sans piste proprement dite.

En cela, elle ressemble aux stations françaises, qui sont par ailleurs bien différentes, et pas seulement au niveau de la taille ou du prix des forfaits. Ici, l’operateur privé contrôle l’ensemble du domaine skiable : les remontées mécaniques, la restauration et les boutiques en altitude, l’école de ski et la location de matos sur place. C’est à la base des stations de renommée que le partenariat avec d’autres entreprises se développera. Dans les plus petites, l’operateur gère tout.
Les stations ont généralement un point d’accès principal, une base où tous les services sont offerts et coordonnés, plutôt que repartis parmi plusieurs villages et vallées. Et la direction aimerait beaucoup que ses clients viennent du samedi au samedi mais ce luxe est plutôt rare. Si l’on vient en montagne pour une semaine, on va essayer plusieurs stations.

Les stations de l’ouest du pays sont à une altitude bien plus haute que dans les Alpes. Il faut compter 1.800 mètres en Californie, 2.500 mètres au Colorado. Au Nouveau Mexique, la station de ski de Santa Fe plane à 3.153 mètres ! La raison ? Il ne fait pas assez froid et il neige trop peu en deçà.
Savannah commence la journée par le flanc de KT-22, légendaire pour son angle très raide. On survit ! Squaw avoisine Alpine Meadows et des pylônes ont été mis en place et n’attendent que les sièges. Cette singulière remontée ne va pourtant par relier les deux grands domaines. Savannah m’apprit que son propriétaire refuse toute liaison. Il a fait construire cette remontée sachant qu’il ne recevrait qu’un permit d’exploitation que pour une dizaine de personnes par jour. Un chiffre infime pour une exploitation, mais suprême pour l’empêcher.
Une des épreuves freestyle du circuit de la coupe du monde avait lieu le jour de ma visite. J’ai pu prendre cette photo d’un skieur qui se lance d’un rocher.
Fin aout Nan et moi sommes passés faire un tour dans les parages. J’ai fais une randonnée dans Shirley Canyon et une fois arrivé à un petit lac, je suis grimpé la rejoindre à la piscine de High Camp où elle se dorait douillettement. Je fus surpris de voir un télésiège au lac car je ne pensais pas que la station s’étendait jusque là. Savannah a proposé de m’y accompagner car c’est toujours marrant de voir un endroit sous la neige après l’avoir vu sans.

De High Camp, nous avons franchis une zone fermée. Seul, je ne l’aurais pas fais. Pas forcement par respect de l’interdiction, mais parce que je ne connais pas bien le secteur. La descente sur une neige hyper gelée et dure fut infernale. Je sentais mes carres se faire bouffer ! De loin, on aperçu un mec de la patrouille de ski qui ne bougeait pas. Nous étions sur qu’il nous avait vu, ce qui n’était pas trop difficile surtout moi avec mon anorak rouge.

Arrivée la première, et reconnue par le patrouilleur, Savannah se fit enguelé sèchement. Ces « agents » se conduisent presque comme des flics. Pas de contraventions, certes, bien que certaines stations aient des députés sheriffs sur les pentes. Mais ils ont le droit d’expulsion s’ils estiment la conduite dangereuse. Je me suis personnellement retrouvé face à de telles situations une douzaine de fois à cause d’» excès de vitesse ».

Le lac était gelé et sous la neige, mais discernable car tout plat dans une région au terrain accidenté. Je fais affuter mes carres et je ne sens tout de suite plus près de la neige …
Comme contrepartie, il fallait nécessairement voir la piscine de High Camp que j’ai trouvé enrobée d’une bonne épaisseur de neige.
Pour finir la journée, je me laisse emporter par la magie de la tombée du soleil sur le lac depuis la fameuse plage de l’hôtel. Je me réchauffe auprès d’un feu qui brulait dans une fosse en papotant avec d’autres clients tandis que la pénombre nous enveloppe. Depuis ma dernière visite qui date cependant que de quelques années, Northstar a tellement remanié ses aménagements que je ne reconnais rien. Je me suis fais avoir en croyant le panneau qui indiquait l’emplacement du « dernier parking gratuit » duquel il faut prendre une navette pour accéder au village. Voici encore un « village », terme précieux des promoteurs immobiliers qui voient dans ce rappel rustique des profits féériques. Le chemin passe par la redéfinition du concept pour le réduire à une image très haut de gamme. Je ne saurais citer un tel projet qui souhaita incorporer des logements, hébergement et boutiques destinés à monsieur et madame classe moyenne.

La navette dépose son contenu une bonne petite distance de la gondole qui n’est en fait qu’une étape intermédiaire avant de grimper sur un autre télésiège pour atteindre les pistes. Un parcours qui permet aux commerçants de marquer une première impression dans l’inconscient collectif. Nous nous reverrons ce soir.
Northstar attire les skieurs et surfeurs intermédiaires, comme sa sœur Sierra-at-Tahoe. La station propose 17 remontées (mais quatre d’utilité que pour les tous petits) et un dénivelé de 695 mètres. Je trouve des pistes bien solides sur chaque flanc du Mont Pluto. Elles me permettent de dévaler à toute allure. Et certaines durent un bon bout de temps.
D’un coin de l’œil je discerne une station de ski dans l’arrière plan. Je suis un peu surpris car je ne reconnais pas Squaw Valley depuis ce point de vue.
C’est sur la Montagne Lookout que je trouve mon plaisir, plus particulièrement sur les bosses de Stampede qui s’étirent sur presque 1 ½ km et une chute de 380 mètres. J’y retourne trois fois, bien qu’essoufflé.
Ce secteur de la montagne va bientôt bénéficier d’un accès réservé pour les propriétaires de maisons secondaires à Martis Camp dans la vallée. La remontée va être allongée pour leur seul usage puisque Matis Camp est non seulement un développent privé, mais ceux qui n’y habitent pas ne sont pas admis. Encore mieux que l’incongruité appelée « village », la folie immobilière tourne autour de ce que l’on nome ici « gated community » et que je peux traduire que comme communauté barricadée. L’idée est de construire des quartiers entiers (qui peuvent atteindre des milliers d’habitants) où tout est privatisé et dont l’accès est interdit aux non résidents. L’absurdité pousse jusqu’à énoncer et confondre la pensée exclusive comme communautaire. Déjà privilégiés (les terrains frôlent le million de dollars), les proprios peuvent se féliciter de ne pas avoir à côtoyer le commun des mortels, du moins tant qu’ils sont sur le télésiège. A quand la station privée ?